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Potentiel d’adaptation du CECR dans les facultés de français en Chine


25 April 2015 | By Wang Wenxin | Synergies-Europe n°6

Potentiel d’adaptation du CECR dans les facultés de français en Chine 

 

Wang Wenxin

Université des Etudes internationales de Shanghai

valeryw@163.com 

Résumé : Depuis trois décennies, l’enseignement du français a connu un essor dans les établissements d’enseignement supérieur de Chine. Le ministère chinois de l’Education, par les soins d’une commission spéciale, exerce sa tutelle sur les facultés de français. Celles-ci doivent établir leurs cours conformément à un programme national et leurs étudiants sont incités à participer à un test national. Ce programme et ce test sont très peu connus des pays étrangers, encore moins que le CECR ne l’est des facultés chinoises. Or chacun a ses atouts : le programme chinois fut élaboré sur les caractéristiques des étudiants chinois et le besoin de l’Etat et veille dans une large mesure à construire des connaissances linguistiques, littéraires et culturelles, tandis que le Cadre met son accent sur la formation de compétences communicatives. Les acteurs chinois du FLE auraient alors tout intérêt à renouveler le programme en s’inspirant des apports du CECR, et celui-ci, en revanche, ne pourrait parvenir à faire référence parmi les facultés de français en Chine que par l’entremise de leur programme national.

Mots-clés : CECR, FLE en Chine, programme de français, connaissances linguistiques, compétences communicatives

Abstract : For three decades, the teaching of French has flourished in chinese higher education institutions. The Ministry of Education of China, through one special commission, exercises its control over the faculties of French. They must prepare their courses under a national program and their students are encouraged to participate in a national test. This program and this test are very little known to foreign countries, less than the CEFR is known to the Chinese faculties. But each has its advantages: the Chinese program was developed on the characteristics of Chinese students, on the need for the state and oversees to a great extent to build language, literary and cultural skills, while the European Framework places emphasis on training communication skills. The actors of the French teaching in China would have an incentive to renew the program, on learning from the contributions of the CEFR, and this framework, however, could not become a reference to the faculties of French in China through their national program.

Keywords : CEFR, teaching of French in China, program of French, language knowledges, communication skills

Depuis la fondation de la nouvelle Chine en 1949, l’autorité chinoise attache toujours une grande importance à l’enseignement de la langue française, en particulier dans les établissements d’enseignement supérieur, en vue de former des interprètes, traducteurs, cadres, chercheurs et enseignants d’élite au service de l’Etat. Le développement de l’enseignement du FLE en Chine s’accélère depuis l’application de la politique de réforme et d’ouverture à la fin des années 1970 et a l’air de battre son plein ces dernières années. Cet enseignement se pratique dans trois secteurs plus ou moins cloisonnés entre eux :

-          Les facultés ou sections de français dans les universités ;

-          Les cours universitaires de français LV2 ou LV3 ;

-          Les cours de formation continue, adressés au grand public ;

-          Le FLE enseigné aux enfants et adolescents dans les écoles, comme LV1 ou LV2.

Les deux premiers secteurs sont soumis à la surveillance de l’Etat, ou plus précisément, à celle du ministère chinois de l’Education. Les cours doivent se dérouler dans le cadre d’un programme particulier, établi par une commission d’experts particulière. Le premier secteur, au niveau de l’enseignement supérieur, est d’autant plus surveillé par le ministère qu’il met sur pied une véritable formation d’élites bilingues pour l’Etat, ainsi que d’agents compétents pour les échanges et partenariats tous azimuts entre la Chine et la France.

Selon le dernier recensement, dans ce secteur, il y a 93 facultés ou sections de français, réparties dans 43 villes de Chine, dont les effectifs atteignent plus de 20.000 étudiants[1]. Le corps enseignant compte un millier de personnes, y compris professeurs titulaires, maîtres de conférence, maîtres assistants et lecteurs étrangers[2].

Afin de bien exercer sa tutelle sur ces facultés et sections, le ministère chinois de l’Education nomme tous les quatre ans une commission d’orientation (comme il le fait pour toutes les autres disciplines universitaires) et lui confie le soin d’élaborer un programme pédagogique, d’y apporter des amendements et d’organiser un test national. La commission est composée actuellement de 18 professeurs, originaires de 17 universités, avec Monsieur Cao Deming à la tête et moi-même en qualité de secrétaire général. Quant au programme pédagogique en vigueur, il est composé de deux volets, établis respectivement pour le premier et le second cycles[3]. Celui du 1er cycle date de 1988 et celui du second date de 1997. Tous deux présentent donc une certaine vétusté et notre commission d’orientation a déjà pris la décision d’y apporter des amendements nécessaires. Pour réussir cette tâche, je trouve que le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), entre autres, constitue une balise indispensable.

De même, le test national, sous le nom abréviatif de « TFS » (Test de français de spécialité), s’organise chaque année en deux séances : le TFS8 en mars pour les étudiants de quatrième année, le TFS4 en mai pour ceux de deuxième année[4]. Contrairement aux examens de fin d’études semestriels de chaque faculté, ce test n’est pas obligatoire, mais les étudiants de toutes les facultés y participent sauf rares exceptions (maladies, expatriation... ), car c’est le seul test national, dont les copies sont corrigées de manière anonyme. Ses notes pourront ainsi mieux révéler l’état réel de l’apprentissage que celles des examens d’établissement et quand les candidats y ont réussi, les certificats seront bien appréciés par les employeurs.

Dans les paragraphes suivants, après avoir présenté brièvement notre programme pédagogique et celui du test national, j’en ferai une expertise et en fonction des vertus et défauts que nous pourrons y constater, étudierai ce que le CECR pourrait apporter à l’enseignement supérieur spécialisé de français en Chine.

I. L’essentiel du programme pédagogique de français

Comme nous l’avons vu plus haut, ce programme comprend deux volets (édités et publiés séparément) :

1. Programme du 1er cycle (cycle fondamental)

Le programme exige qu’on donne de 476 à 544 heures de cours[5] pendant une année (de 952 à 1088 heures de classe dans les deux années de ce cycle) et qu’on garantisse aux étudiants le même nombre d’heures d’ autodidaxie. Le contenu de l’enseignement comprend des connaissances phonétiques, grammaticales, lexicales ainsi que des compétences de compréhension orale, de compréhension écrite, d’expression orale et d’expression écrite :

a. Connaissances phonétiques

Les étudiants doivent apprendre, au cours de la 1ère année, les sons (consonnes et voyelles), les règles de prononciation, l’alphabet phonétique international, les groupes de souffle, les accents, les liaisons, les élisions et les principales intonations de phrases simples. Au cours de la 2e année, outre la consolidation de ces connaissances, l’apprentissage s’étendra aux intonations de phrases complexes.

b. Connaissances grammaticales

Elles constituent, après les leçons de la phonétique, la partie majeure de l’enseignement. La 1ère année sera consacrée aux notions de parties du discours, aux fonctions de chaque partie du discours, aux structures et fonctions élémentaires de phrases simples, et la 2e année à des savoirs syntaxiques plus riches, plus profonds : sujet, objet, attribut, épithète, tous les compléments, propositions principales et subordonnées, discours direct et indirect, modes , temps, voix...

c. Connaissances lexicales

Selon le programme, au bout des deux années du premier cycle, un étudiant doit posséder un vocabulaire de 3800 mots (1200 en 1ère année et 1400 en seconde), dont 2600 mots « actifs », c’est-à-dire qu’il peut utiliser couramment et correctement. Ces mots sont inventoriés dans une annexe du programme.

d. Compétences

En plus de toutes ces connaissances de nature linguistique, le programme prescrit également une série de compétences de pratique du français. En matière de la compréhension orale, un étudiant sortant de la 1ère année doit être capable de comprendre 70% ou plus d’un discours ou dialogue produit oralement deux fois, chaque fois en 2-3 minutes au rythme de 120 mots par minute. Sortant de la seconde année, il aura à comprendre un discours ou dialogue plus long (3-4 minutes), plus rapide (150 mots/minute).

En matière de la compréhension écrite, l’objectif de l’enseignement dans la 1ère année  est de doter les élèves de la capacité de comprendre à 70% un texte dont la difficulté équivaut à celle des textes du manuel. La lecture doit s’effectuer à la vitesse de 30 mots par minute et le volume des textes lus aux heures hors classe doit atteindre 1000 mots par semaine. Ce volume de lecture sera beaucoup augmenté dans l’année suivante (5000 mots par semaine) afin que les élèves puissent lire, à la vitesse de 80 mots par minute, un texte écrit en français facile et saisir au moins 70% de son contenu. Ils pourront consulter des dictionnaires, mais les « techniques » de lecture (par exemple, celui de saisir le sens d’un mot d’après sa formation ou le contexte) leur seront enseignées.

L’orthographe occupe une place très importante dans l’enseignement du français en Chine. Les étudiants doivent réussir en 20 minutes la dictée d’un texte d’environ 100 mots (exigence pour la 1ère année), ou en 25 minutes celle d’un texte d’environ 200 mots (exigence pour la 2e année) avec moins de 10 fautes de tous genres (y compris un signe de ponctuation oublié ou mal placé). Le résumé en une demi-heure d’un texte de 300 à 400 mots et la rédaction en 40 minutes d’un article d’environ 150 mots sont également exigés aux étudiants sortant du 1er cycle. Cette rédaction consistera surtout à exposer un fait ou raconter une histoire.

En matière d’expression orale, les étudiants doivent, à la sortie de la 1ère année, être capables de lire un texte en français facile avec une voix claire, avec un accent et une intonation corrects, de faire des conversations simples aux sujets quotidiens ou exposer oralement un fait en trois minutes à la cadence de 60-70 mots par minute sans fautes grossières. Ils sont permis de se préparer d’avance pendant un certain temps pour faire ces conversations ou exposés, mais seront incités à les improviser au terme de la seconde année et les sujets seront plus variés, la durée de l’exercice sera plus longue.

2. Programme du 2e cycle (cycle avancé)

L’enseignement au 2e cycle visera d’abord à enrichir et perfectionner les connaissances grammaticales et lexicales des étudiants. En grammaire, ils apprennent toutes les formes de conjugaison verbale (par exemple : le plus-que-parfait du subjonctif ou la deuxième forme du conditionnel), les aspects, les différents types de phrases complexes, les discours indirects libres etc. Leur vocabulaire s’élèvera à 8000 mots environ, dont 4000-5000 mots actifs. Ils apprennent, en plus des divers emplois d’un mot, les registres de langue, les divers emplois d’un mot, les synonymes et antonymes, les néologismes, les moyens de formation lexicale ainsi que les moyens de soigner leur langage écrit et parlé selon les circonstances, par exemple, remplacer le mot banal « chose » par un verbe sémantiquement plus précis, plus « pittoresque ».

Ils sont même initiés aux éléments de quelques vraies disciplines de langue : linguistique, stylistique, traductologie, voire lexicographie. A la fin de ce cycle, pour obtenir le diplôme de licence, ils auront à écrire un mémoire et le soutenir devant un jury.

Les compétences de pratique du français à former chez eux se répartissent comme au cycle précédent en quatre matières :

-          Compréhension orale : Les étudiants doivent, au terme de la 4e année, parvenir à comprendre les conférences, les infos de TV ou radio ou d’autres documents vocaux produits en français courant. L’écoute peut être renouvelée trois fois et la moyenne reste 70% du contenu du document.

-          Compréhension écrite : Ils doivent comprendre des articles de presse, des textes littéraires ou d’autres genres en français courant, en lisant au moins 350 signes typographiques.

-          Expression orale : Ils doivent pouvoir tenir des conversations couramment en français aux divers sujets quotidiens, et après quelque temps de préparation, participer à des débats menés aux sujets politique, diplomatique, économique, culturel etc.

-          Expression écrite : Les genres de textes à écrire iront de récits, de résumés à des dissertations, en passant par des rapports, des lettres et d’autres textes utilitaires quotidiens. La vitesse exigée sera de 180-200 mots par heure.

En outre, les étudiants au 2e cycle auront à acquérir une nouvelle compétence, celle de traduction. Par écrit, ils devront être à la hauteur de traduire en chinois, à la vitesse de 1250 signes typographiques par heure, reportages, articles, textes littéraires ou scientifiques ordinaires. A l’oral, ils devront pouvoir accomplir des tâches de guide touristique et traduire, de manière consécutive, des discours ordinaires à divers sujets.

Dans les deux années de ce cycle final, les heures de cours diminueront d’un quart par rapport aux deux premières années.

II. Programme du test national (TFS)

Voici d’abord les sujets du TFS4 (test de niveau 4, pour le cycle fondamental) , notés au total par 100 points comme de coutume en Chine :

-          Partie I « Dictée » (10 points) ;

-          Partie II « Compréhension orale » (choix de réponses aux questions posées sur des dialogues, 10 points) ;

-          Partie III « Compétence lexicale » (choix de mots à remplir dix phrases et un texte, 15 points) ;

-          Partie IV « Compétence grammaticale » (I) (choix de mots ou expressions à remplir 40 phrases, 20 points) ;

-          Partie V « Compétence grammaticale » (II) (conjugaison de 20 verbes d’un texte, 10 points) ;

-          Partie VI « Compréhension écrite » (lecture de quatre textes courts et choix de réponses à des questions, 20 points) ;

-          Partie VII « Expression écrite » (rédaction d’un récit, 15 points).

Et les sujets du TFS8 (test final) :

-          Partie I « Dictée » (10 points) ;

-          Partie II « Compréhension orale » (choix de réponses aux questions posées sur dix dialogues et un discours, 10 points) ;

-          Partie III « Vocabulaire et grammaire » (choix de mots à remplir dix phrases et un texte, 20 points) ;

-          Partie IV « Version » (traduction d’un texte court, 12.5 points) ;

-          Partie V « Thème » (traduction d’un texte court, 12.5 points) ;

-          Partie VI « Compréhension écrite » (lecture de quatre textes courts et choix de réponses à des questions, 20 points) ;

-          Partie VII « Expression écrite » (rédaction d’un article, 15 points). 

III. Expertise des programmes chinois et nouveautés du CECR

Les présentations ci-dessus nous permettront de bien connaître le programme régissant les facultés de français en Chine et d’en faire une expertise adéquate. A mon avis, ce programme a le double avantage de distinguer l’enseignement supérieur spécialisé de français d’autres secteurs d’enseignement du FLE en Chine et de faire maintenir cet enseignement dans son ensemble à un niveau qualitatif très élevé afin qu’il corresponde aux besoins de ressources humaines de l’Etat, Toutefois, ce programme présentent plusieurs défauts.

D’abord, il accentue les connaissances académiques au lieu des compétences communicatives du français. Bien sûr, il a réservé une bonne partie de son contenu à ces compétences, mais ce sont plutôt des objectifs à atteindre que de véritables conceptions pédagoqiues, même si un acte ministériel se doit en général de tracer les grandes lignes du travail. D’ailleurs, l’annexe du vocabulaire représente la plus grande majortié des pages de chaque volet du programme, et le programme du test national révèle également la carence de conceptions pour la formation de compétences des étudiants : le test n’inclut que des sujets « passifs » ou « unilatéraux », c’est-à-dire, durant le test, les candidats n’auront en aucun moment l’occasion de faire face à un jury (voire un jury virtuel) pour répondre de vive voix à ses questions, réagir à ses remarques. Ils feront tous les sujets par écrit, devant un « examinateur », qui ne cesse de promener sur eux ses yeux vigilants, dissuasifs ...

Si cette passivité ou unilatéralité est partiellement due à l’insuffisance de moyens techniques qui embarrasse actuellement notre commission d’orientation de l’enseignement du français dans les facultés, elle n’en reste pas moins un héritage des traditions chinoises dans le domaine de l’enseignement de langues étrangères : sauf ceux d’un cours spécial de français parlé, les examens semestriels ou semi-semestriels se font en général par écrit en Chine. Qui pis est, les cours eux-mêmes sont donnés ainsi passivement ou unilatéralement : le professeur parle éloquemment, les élèves l’écoutent, sages comme une image ... les programmes pédagogiques n’y sont pas pour rien.

Si les élèves ont la volonté qu’on souhaite pour accomplir tous les travaux imposés, ils pourront faire de grands progrès et obtenir d’excellents résultats à la fin du cursus. Mais c’est justement là  : le concepteur vise des élèves d’élite, or ce n’est pas le cas pour tous les élèves, des motifs et des besoins

si un élève ne possède pas ou pas tellement cet état d’âme, il aura beaucoup d’ennuis en classe et risque d’échouer dans ses études. Le programme montre bien son revers : il paraît trop académiste, conformiste, orgueilleux à l’égard d’une nouvelle génération d’étudiants qui ne sont plus comme nous l’étions autrefois.

La rénovation sera donc nécessaire et nous aurons tout intérêt à l’inaugurer par l’amendement de notre programme pédagogique national[6]. Pour réussir ce travail, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) , entre autres, passe pour un outil indispensable. D’autant que nos étudiants deviennent de plus en plus nombreux à souhaiter aller faire des études en France et auront souvent à participer à des tests français (TCF, TEF, DELF, DALF...).

Le CECR présente au moins quatre nouveautés par rapport à notre programme d’enseignement de français :

1. Un nouvel étalonnage des niveaux d’apprentisage

Alors que le programme chinois hiérarchise son contenu en parfaite corrélation avec les années universitaires, le Cadre européen divise l’apprentissage des langues étrangères en trois niveaux généraux (A, B, C, marquant respectivement les utilisateurs élémentaires, indépendants et expérimentés), subdivisés eux-mêmes en six niveaux communs (A1-A2, B1-B2, C1-C2). Pour chaque niveau, le Cadre fournit des descripteurs de compétences et indique que l’arborescence peut être développée avec plus de finesse selon les circonstances.

2. L’ancrage de l’enseignement sur les compétences communicatives

Pour chacun des niveaux ci-dessus, le Cadre fournit des descripteurs de compétences. Nous y trouvons non seulement des objectifs comme dans le programme chinois, mais encore des « opérations d’apprentissage et d’enseignement des langues » (CECR, 2001 : chapitre 6) et des « tâches et leur rôle dans l’enseignement des langues » (CECR, 2001 : chapitre 7). Dans le texte du Cadre, nous lisons 33 fois « langues vivantes », 186 fois « compétences » et 82 fois « aptitudes », ce qui représente l’importance que le Cadre accorde à la formation de compétences ou aptitudes communicatives des apprenants.

3. La conception d’activités interactives

Nous avons signalé que faute d’exigences du programme, les interactions entre l’enseignant et ses élèves présentent souvent une grave carence en Chine. Par contre, l’interaction occupe depuis toujours une place primordiale dans l’enseignement de langues vivantes en Europe et constitue ainsi l’un des mots clés du CECR. Selon le Cadre, la compétence à communiquer langagièrement présente les composantes linguistique, sociolinguistique et pragmatique, et cette dernière « recouvre l’utilisation fonctionnelle des ressources de la langue […] en s’appuyant sur des scénarios ou des scripts d’échanges interactionnels. » (CECR, 2001 : 17-18). Il faut donc organiser des activités d’interaction en classe et « prendre en considération le rôle respectif des enseignants, des apprenants et des supports. » A ce propos, le cadre incite les enseignants à réfléchir sur les proportions différentes du temps du cours à consacrer à son exposé, à des séries de questions/réponses, à du travail de groupe ou par deux et à du travail individuel. (CECR, 2001 : 110) . Cette conception fait défaut à notre programme et à bon nombre d’enseignants, d’auteurs de manuels, de directeurs de cours, en particulier au 2e cycle universitaire.

4. La formation d’aptitudes d’argumenter

Malgré ce défaut de conception, notre programme a pu intégrer, comme nous l’avons vu dans les pages précédentes (I.1.d, I.2), quelques compétences communicatives dans les objectifs qu’il fixe pour l’enseignement et sur le terrain, il y a également beaucoup d’enseignants qui recourent à tous les moyens disponibles pour organiser des activités interactives, rendre leurs classes « vivantes ». Ils présentent néanmoins un carence plus grave : celle de formaion d’aptitudes argumentatives des étudiants. C’est parce que la formation d’interprètes et traducteurs pesait toujours très lourd dans l’ensemble des tâches pédagogiques dont nos facultés étaient chargées autrefois et qu’un interprète ou traducteur n’aurait pas besoin d’argumenter. Sur ce plan, le Cadre européen a bien fait d’établir des descripteurs pour rendre les étudiants aptes à argumenter lors d’un débat, par exemple, au B2 (CECR, 2001 : 50):

B2

Peut développer méthodiquement une argumentation en mettant en évidence les points significatifs et les éléments pertinents.

Peut développer une argumentation claire, en élargissant et confirmant ses points de vue par des arguments secondaires et des exemples pertinents.

Peut enchaîner des arguments avec logique.

Peut expliquer un point de vue sur un problème en donnant les avantages et les inconvénients d’options diverses.

IV. Possibilités d’amendement des programmes chinois au regard du CECR

Alors, au regard de toutes ces nouveauts du Cadre européen, nous pourrions amender nos programmes d’enseignement et du test, autrement dit, adapter le CECR à notre cas dans les matières suivantes :

1. Redéfinition des cycles d’apprentissage

Dans notre programme, nous avons défini les cycles d’apprentissage strictement selon les années universitaires et répartissons de cette manière les cours sur quatre ans. Mais en réalité, dans la plupart de nos facultés, beaucoup de leçons, voire certains cours programmés pour la quatrième année sont « sucrés » dans les activités extrapédagogiques des étudiants, bénies par leurs professeurs et la direction de la fac (stages, recherches d’emplois... ainsi que la documentation et la rédaction du mémoire de fin d’études ...) D’ailleurs, le cursus chinois de licence dure quatre ans au lieu de trois ans en Europe[7]. Nous pourrions donc envisager, par référence aux trois niveaux généraux (A, B, C) du CECR, de « tasser » tous les cours dans les trois premières années en réservant officiellement la quatrième aux activités extrapédagogiques et aux échanges d’étudiants avec des établissements étrangers.

Une autre perspective serait de « débrancher » les cycles d’apprentissage des années universitaires, d’élaborer des cycles ou niveaux indépendants (les trois niveaux généraux du CECR ou autres) en appliquant un système de crédits comme le fameux ECTS[8] pour permettre aux étudiants de faire leurs études à un rythme qui leur convient, de les terminer librement en quatre ans, en trois ans ou même plus tôt s’ils le veulent et qu’ils en ont la capacité.

2. Réorientation de l’axe du programme

L’axe du programme pédagogique national devra être réorienté, de l’enseignement de connaissances linguistiques et littéraires académiques, vers le façonnage de compétences communicatives et argumentatives chez les étudiants. Pour réussir ce travail de réorientation, les descripteurs fournis par le CECR dans le domaine de compétences pourront jouer un rôle référentiel important.

Un programme ainsi amendé pourra inciter nos professeurs à rénover leur méthode d’enseignement, à interrompre leur monologue d’explication tout au long du cours en introduisant plus d’activités interactives en classe, entre eux et leurs élèves et entre les élèves sous leur tutelle. Même pour certains cours classiques de nature peu « manipulable », nous pourrions aussi en repenser la didactique pour adopter une approche communicative. Dans un article que j’ai publié avec une collègue au numéro 2 de Synergies-Chine, nous avons présenté une nouvelle méthode que j’avais conçue et appliquée avec succès pour mes élèves de traduction écrite à SISU (Shanghai International Studies University).

Nous pourrions emprunter un propos de Monsieur Gaonac’h pour prendre en compte trois concepts essentiels articulés (Gaonac’h, D., 1991 : 8) : « la langue, objet d’apprentissage, élément d’un univers physique et social, qui exerce sur toute activité individuelle des constraites liées à ses caractéristiques objectives ; le sujet (élève, apprenant...) , centre d’une activité qui s’exerce sur son environnement, donc entre autres sur l’objet-langue ; les interactions liées à la fonction fondamentale du langage : la communication. »  

3. Rédaction de nouveaux manuels

Durant des décennies, nos manuels de français n’ont pas changé d’aspect : impression noir et blanc, ordre perpétuel « texte-vocabulaire-grammaire-exercices », cassette ... Il s’est passé quand même des changements, par exemple, les cassettes ainsi que leurs coffrets deviennent désuets, remplacés par un petit disque qui vous est offert dans une pochette collée au dos du livre... Mais ce sont des changements très superficiels, car il s’agissait seulement de transcrire la même substance (l’enregistrement du texte lu par une voix de speaker entraîné) sur un autre support.

Et les leçons sont toujours arrangées selon les degrés de difficultés des connaissances grammaticales qu’elles incluent.

De leur côté, les manuels de français européens d’aujourd’hui, tels que Reflets, Nouveau Sans Frontière, Bienvenue en France, Panorama, Forum..., pour les mêmes éléments à enseigner, les intègrent dans des modules plus variés et proposent de nombreuses activités interactives. En plus, ils recourent largement à l’impression en couleurs, à des images et photos comme illustration, et reproduisent les dialogues et textes en CD voire en DVD. Prenons comme exemple Forum 1 qui vient d’être réédité en version chinoise. Il comprend, au premier plan, trois modules (« Au jour le jour », « Temps libre » et « Tous ensemble »), subdivisés chacun en trois unités (« présentations », « rencontres », « agenda »...), découpées elles-mêmes en « forum », « agir-réagir », « grammaire », « s’exprimer », « pause-jeux », « interculturel », « mot du professeur » etc. En outre, le manuel est joint, sous forme de DVD, d’une série de courts-métrages joués par des comédiens français, genre Un gars, une fille.

Les modules et les activités de Forum et d’autres manuels sont conçus selon des tâches de communication, pour former et développer des compétences communicatives chez les apprenants, et leur présentation typographique convient mieux aux exigences des jeunes d’aujourd’hui. Le CECR demeure dans cette filiation européenne d’axer l’enseignement-apprentissage de langues plutôt sur la formation de compétences réelles : « Il décrit aussi complètement que possible ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans le but de communiquer…Enfin, le Cadre de référence définit les niveaux de compétence qui permettent de mesurer le progrès de l’apprenant à chaque étape de l’apprentissage et à tout moment de la vie. » (CECR, 2001 : 9)

Bien entendu, ces manuels européens et le CECR auraient également des points faibles et lacunes (qui feraient l’objet d’une autre recherche) et il nous serait abusif de les considérer comme un remède à tous les maux, mais nous n’en restons pas moins convaincus de l’utilité de leurs atouts susmentionnés pour la réforme de nos manuels en Chine.

D’ailleurs, dans la rédaction d’un manuel, nous pourrions aussi délaisser la voie grammaticale tellement foulée pour en exploiter d’autres, par exemple, construire les leçons sur l’apprentissage du vocabulaire. Madame Picoche a fait remarquer la possibilié d’un tel enseignement (Picoche, J., 2003) en présentant son dictionnaire DFU (Dictionnaire du français usuel): « Le sous-titre de l’ouvrage 15000 mots utiles en 442 articles laisse entendre que notre objectif est de rendre possible un enseignement systématique d’une partie importante du vocabulaire français et non un enseignement “accidentel” à l’occasion d’autre chose, chacun des 442 articles constituant un vaste réseau lexical fortement structuré. Et notre ambition est de faire reconnaître le vocabulaire, jusqu’ici parent pauvre des études de français, comme une matière d’enseignement à part entière. »

4. Amendement du programme du test national

Nous avons bien critiqué la passivité que le programme du test national (TFS) révèle. Il faudra donc envisager d’y intégrer, à l’aide de moyens techniques modernes, une épreuve orale afin d’évaluer les acquis des étudiants sur tous les plans.

Dans cet amendement, nous devrons prêter attention à deux remarques du CECR. D’abord (CECR, 2001 : 42), « il faut s’assurer que tous les candidats à un test de compréhension de l’oral jouissent des mêmes conditions. De même, il faut tenir compte des données équivalentes en ce qui concerne la compréhension de l’écrit et sa production. Les enseignants et les examinateurs doivent aussi prendre conscience de l’effet des conditions sociales et des contraintes de temps sur le processus d’apprentissage, l’interaction en classe ainsi que sur la compétence de l’apprenant et sa capacité à agir langagièrement dans une situation donnée. » Puis (CECR, 2001 : 142), « si l’on prend l’exemple de l’évaluation de l’oral et si, comme indiqué plus haut, on considère que les stratégies d’interaction sont un aspect qualitatif de la communication pertinent dans l’évaluation de l’oral, alors les exemples d’échelles contiennent quatorze catégories qualitatives relatives à l’évaluation de l’oral. » Ces quatorze catégories qualitatives seront à étudier et adapter à la nouvelle épreuve orale du TFS par nous.

5. Recours aux nouvelles technologies

Bien entendu, qu’il s’agisse aujourd’hui de la création de cours, de la rédaction de manuels ou de l’organisation d’examens, nous aurons besoin de recourir aux nouvelles technologies et le vieux mode d’enseignement « TCF » (tableau-craies-feuilles) devra céder sa place à au mode multimédia, surtout quand nous nous trouvons devant une jeunesse qui a grandi avec l’ordinateur et Internet. Dans notre programme pédagogique et celui du test national, nous devrons formuler clairement des exigences pour l’application de nouvelles technologies, afin de mettre nos élèves au contact de matériaux d’une langue authentique, vivante. Et avant tout, nous devrons demander aux responsables des facultés et à la direction de leur établissement d’investir des moyens financiers et humains nécessaires en équipements (laboratoires, médiathèques...), à leur gestion et à la formation des enseignants pour qu’ils sachent s’en servir en classe ou dans les activités hors classe.

Epilogue

Le CECR, publié en 2001, constitue une nouvelle approche de programmation de l’enseignement de langues étrangères et a produit une influence considérable dans le monde. Comme ses auteurs le signalent à la fin du Cadre (CECR, 2001 : 190), il stimule « la réflexion sur les objectifs et les méthodes », « facilite la communication et fournit une base commune pour la conceptions de programmes, d’examens, de diplômes et de certificats. » Il est donc « un outil d’une valeur inestimable pour les formateurs d’enseignants, les concepteurs de programmes et d’examens ainsi que pour les auteurs de manuels et de matériel pédagogique. »

Aussi aurons-nous lieu, en tant que concepteurs de programmes et d’examens de l’enseignement supérieur spécialisé du français en Chine, de bien étudier ce cadre pour trouver tous ses atouts et les appliquer dans la mise à jour de nos programmes, d’autant que les deux volets de notre programme pédagogique datent tous les deux des années 1980-1990 et présentent de ce fait un grave problème de vétusté. Je souhaiterais que cet article, comme une première tentative en ce sens, puisse susciter des réflexions et débats sur les possibilités d’adapation du CECR dans les facultés de Chine. 

Bibliographie

 

Baylon, Chr. et al. (partie fr.), Cao Deming, Wang Wenxin et al. (partie ch.), 2010 : version sinisée du Forum-Livre de l’élève. Shanghai : Editions d’Education des langues étrangères.

Commission de l’Education de Chine, 1988. Programme du cylce fondamental des facultés de français. Beijing : Editions d’Enseignement et de Recherches des Langues étrangères(Wai Yan She).

Conseil de l’Europe, 2001. Cadre européen commun de référence pour les langues. En ligne. http://www.coe.int/t/dg4/portfolio/documents/cadrecommun.pdf.

Gaonac’h, D., 1991.Théories d’apprentissage et acquisition d’une langue étrangère. Paris : Les Editions Didier.

Huang Xiaoling et Wang Wenxin, 2007. « L'enseignement de la traduction écrite français-chinois à SISU », Synergies-Chine n°2.

Picoche J., 2003. L’utilisation du DFU pour l’enseignement du vocabulaire (Communication au colloque sur l’enseignement du lexique, Grenoble). En ligne. http://www.jacqueline-picoche.com/dialogue.htm.

Wang Wenrong et al., 1997. Programme du cylce avancé des facultés de francais. Beijing : Editions d’Enseignement et de Recherches des Langues étrangères(Wai Yan She).

 

Article publié dans la revue Synergies-Europe n°6, 2011

http://gerflint.fr/synergies-europe

 

 

[1] étudiants en licence (ès lettres, mention « langue et littérature française »), sans compter ceux en master ou en doctorat, qui entreprennent des recherches plutôt que l’apprentissage du français. Sachons d’ailleurs que la licence se prépare en quatre ans en Chine, le master en 2 ou 2,5 ans et le doctorat en trois ans.

[2] Nous n’avons jamais connu les nombres exacts des étudiants et des enseignants des trois autres secteurs, dont le recensement serait une mission impossible parce que les établissements de formation continue et leurs élèves se situent dans un état très instable. D’après notre estimation, le nombre de ces élèves pourraient s’élever à une centaine de mille.

[3] En Chine, le premier cycle (dit « cycle fondamental ») comprend les deux premières années universitaires et le second cycle (« cycle avancé ») les deux années suivantes en licence.

[4] Théoriquement, chaque semestre d’apprentissage devrait être sanctionné par un test. On aurait ainsi le TFS1, le TFS2, ... jusqu’au TFS8. Mais en réalité, la commission ministérielle n’organise que le TFS4 et le TFS8, comme les autres commissions le font pour l’anglais, le japonais etc.

[5] Une heure de cours compte 45 minutes et on donne en général deux heures de cours d’affilée (90 minutes).

[6] En fait, notre commission a déjà constaté la nécessité d’amendement du programme et a fait quelques travaux préliminaires il y a quelques années. Mais la recomposition de la commission et les affaires pédagogiques et administratives lourdes que chacun assume nous ont fait traîner les pieds dans ce travail.

[7] Dans son ensemble, le cursus universitaires chinois est beaucoup plus long que celui des Européens : 4 ans pour la licence, 2 ou 2,5 ans pour le master et encore 3 ans pour le doctorat. De ce fait, quand nous mettons sur pied un projet d’échanges avec un établissement européen, nous avons l’impression que nos étudiants ont fait deux ou trois années nulles, sans pouvoir les faire reconnaître par notre partenaire.

[8] Presque toutes les facultés chinoises ont déjà mis sur pied un système de crédits, mais elles n’en tiennent pas moins fort aux années universitaires traditionnelles dans l’arrangement des cours et les promotions des étudiants.  

 

 

 

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