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EDITION ET TRADUCTION A L’HEURE DE LA MONDIALISATION


24 April 2015 | By Emmanuel FRAISSE | Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

  • Emmanuel FRAISSE

    DILTEC Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Résumée lors de la Masterclass des 14 et 15 avril 2015, cette communication reprend certaines analyses que j’ai développées dans Littérature et mondialisation (Paris : Champion, 2012). Elle propose en outre un  certain nombre d’actualisations qui nous rappellent que dans l’ordre des langues,  des cultures et de leurs relations, rien saurait être considéré comme figé et encore moins réduit à on ne sait quelle « essence » ou à un supposé ordre des choses. De plus, alors que toute étude des relations  entre les cultures ne peut être conduite par l’observateur ou le chercheur que dans la conscience du point de vue qu’il adopte nécessairement, il importe de garder à l’esprit que ces relations  ne sont jamais réductibles à une dimension bilatérale et encore moins à la seule sphère des idées. Le contact des langues et cultures s’inscrit à l’évidence dans un système d’une complexité infinie où entrent en interaction, et dans un mouvement perpétuel, une  multiplicité d’acteurs et de variables. Un des devoirs du chercheur dans ce domaine des approches interculturelles est, faute de pouvoir en en rendre véritablement compte, de s’efforcer de demeurer lucide à cet égard.

Une des caractéristiques de la vague de mondialisation que nous connaissons aujourd’hui est d’avoir atteint une échelle, une intensité et une diversification véritablement inouïes. Désormais,  celle-ci brasse constamment hommes, langues et biens matériels et immatériels : à travers l’économie, les affaires, l’immigration, le tourisme, la vie académique et la culture, en un mot à travers tout ce qui touche  la vie collective et notre vie quotidienne dans l’ensemble de leurs  états.

À cet égard, l’impact de la mondialisation sur les langues est considérable et ambigu  puisque jamais on n’a autant parlé de langues étrangères et en même temps jamais on n’a autant traduit qu’aujourd’hui. Autre paradoxe rencontré chaque jour : alors qu’une langue ­– l’anglais – a acquis une dimension  universelle et incontestée, jamais la circulation écrite de langues nationales n’a été aussi massive, tant à travers l’imprimé que sous forme électronique. Pour rendre un exemple particulièrement  éclairant, selon World Internet Stats, le mandarin a dépassé en 2015  l’anglais comme première langue utilisée sur Internet[1].

Dans ce contexte d’une extrême complexité, la traduction, qui reste un phénomène très mal mesuré dans son ensemble[2], constitue un des indicateurs les plus précieux de l’état des relations culturelles entre langues et pays dans le monde. Qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse, la traduction et les flux éditoriaux et économiques qu’elle induit montrent qu’il y a bien un marché dans ce domaine. Toutefois, et c’est là un aspect essentiel, le rayonnement culturel ne se limite pas aux aspects purement économiques. En d’autres termes, si le livre est considéré par les accords du General Agreement on Tarif and Trade (GATT) du cycle de l’Uruguay (1994) comme un des services soumis à la libéralisation des échanges sous le contrôle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il n’en relève pas moins du principe de l’ « exception culturelle », adopté sous l’impulsion de la France par le Parlement européen en 1993 et étendu, conformément aux recommandations antérieures de l’UNESCO, à la notion de « diversité culturelle[3]. » En affirmant que l’unité de l’humanité se caractérise par l’affirmation de la diversité culturelle, l’UNESCO s’interdit de voir dans les biens et services culturels des « biens et marchandises comme les autres » et refuse donc que leur diffusion soit laissée « aux seule forces du marché[4] ».

Sur un plan plus général, on voit bien que le livre ne représente qu’une partie très limitée des biens et services culturels : l’audio-visuel doit être prise ne compte, et plus encore les jeux vidéo mobilisent des capitaux et génèrent un chiffre d’affaires incomparable à celui des produits traditionnellement perçus comme vecteurs de la culture que sont le livre et même le cinéma[5]. En France, vieux pays de culture doté d’un système éditorial important, le secteur des  jeux vidéo « pèse » 20 fois plus que celui du livre Mais le livre a un impact qualitatif infiniment plus grand que son poids économique.  Les réflexions ici proposées ici à propos de la traduction sont très largement inspirées des travaux de Gisèle Sapiro[6] qui s’inscrivent dans la tradition sociologique de Pierre Bourdieu, et dans celle, très développée en France, de l’économie et de l’histoire du livre[7].

Se réclamant de la notion bourdieusienne de « champ » (autrement dit espace de tensions doté d’une certaine autonomie), que Pascale Casanova avait également utilisée dans son approche de la République mondiale des lettres[8], Gisèle Sapiro et ses collaborateurs observent un phénomène structurant : les relations entre langues et cultures sont nécessairement « asymétriques ». Cette « asymétrie » n’implique évidemment pas qu’une langue ou une culture soit intrinsèquement et, plus encore, potentiellement, inégale ou même inférieure à telle autre langue ou culture. Il s’agit ici simplement de position dans un contexte historique et non d’une prétendue « essence » des langues et d’une supposée fatalité affectant les relations entre les cultures.  Dans ce domaine, tout est sujet à une perpétuelle réévaluation, constamment  lié à une série de contraintes positionnelles et de déterminations historiques, politiques, économiques et sociales et rien n’est jamais « naturel » ou fixé[9].

En s’appuyant sur les statistiques de la traduction rassemblés par l’UNESCO (l’Index translationum[10]), ainsi que sur les données établies par les éditeurs français et la Bibliothèque nationale de France, Gisèle Sapiro et ses collaborateurs, se sont attachés à regarder la part des livres traduits des différentes langues, la politique de traduction des éditeurs « français » ou « en français » ainsi que le nature des ouvrages traduits (et importés) et cédés à la traduction et donc exportés. Dans tous les cas, il ressort que la position de l’anglais est « hyper-centrale », celle du français et de l’allemand « centrales », celle de l’espagnol et de l’italien « semi-périphérique », le russe étant passé, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc socialiste du statut de langue centrale à celui de langue semi-périphérique, voire même périphérique. Quant aux très grandes langues de communication des géants de l’Asie – mandarin standard, hindi/urdu, indonésien – elles demeurent, tout comme celles de pays moins peuplés de la région, (Japon, Corée, Vietnam), en position nettement périphériques, même si des évolutions rapides sont en cours.

Tableau 1 : Moyenne annuelle de livres traduits par langues d’origine (Index translationum)[11]

Langue

1980-1990

1990-1999

Hausse en %

Anglais %

24 251

44,7 %

39 808

     59,1 %

64 %

32 %

Allemand

4 678

8,6 %

6 234

9,3 %

33 %

7 %

Espagnol

893

1,6%

1737

2,9 %

94 %

57 %

Français

5 853

10,8 %

6 609

10 %

13%

-7%

Italien

1595

2,9 %

1963

2,5 %

23%

-1%

Russe

6 213

11,5 %

1 565

2,5 %

-75 %

-78 %

Total traductions

54 138

66 964

24 %

 

Avant toute interprétation du tableau 1, on rappellera que les données qu’il rassemble concernent le nombre de titres et non les tirages ou le chiffre d’affaires. Mais, compte tenu de la nature du fait éditorial, cet indicateur est sans doute le plus pertinent en termes de relations culturelles[12].

Premier enseignement général à la lecture de ce tableau : nous sommes entrés dans une ère d’intensification du recours à la traduction. Ainsi en 20 ans (1980-1999), la part globale des traductions a augmenté d’un quart : selon les données statistiques de l’Index, ce sont près de 70 000 livres qui ont été traduits par an dans le monde. Reste que le nombre des traductions doit être mis en regard avec les productions en langues locales : dans le meilleur des cas, la traduction – qui est aussi pour une part fondée sur la sélection – ne concerne jamais plus de 10 à 15 % de la production originelle.

Un second constat renvoie au poids de l’anglais, langue hyper centrale, qui n’a cessé de s’affirmer. En 1980, 45 % de l’ensemble des livres traduits dans le monde avaient été  originellement écrits en anglais : ils sont 60 % dans ce cas en 2000, soit une augmentation d’un tiers. La position générale de l’anglais sur la carte des langues est d’ailleurs sans aucun doute bien supérieure à celle que les chiffres des ouvrages traduits laissent entendre, même il y a 15 ans. En effet, une part écrasante des articles traitant des sciences « dures » (qui échappent évidemment à la statistique de l’Index translationum) et même des livres scientifiques écrits dans des « petits » pays ou des « petites », voire des « grandes » langues le sont directement en anglais, sans qu’il soit nécessaire de passer par cette acclimatation (ou naturalisation) qu’est la traduction.

Troisième enseignement : le français et l’allemand, à égalité, et nettement après l’anglais, sont bien deux langues centrales de traduction, puisqu’ils représentent chacun 10 % des ouvrages traduits dans le monde. Le léger recul du français, en termes relatifs sinon en chiffres absolus, n’est pas suffisamment marqué pour qu’on en tire des conclusions, d’autant que des données ultérieures viennent contredire cette tendance[13]. En revanche, on ne peut qu’être frappé par l’effondrement du russe. Alors que le russe avait en 1980 une place et un rayonnement comparable à celui du français et de l’allemand, le nombre de traductions du russe  vers les autres langues a été divisé par 4 à la suite de la chute du mur de Berlin et de la débâcle du bloc soviétique. C’est rappeler ici que la traduction fonctionne comme sismographe des échanges culturels, et qu’elle prend également en compte,  et presque nécessairement sinon mécaniquement, les évolutions politiques et les flux d’échanges culturels qui leur sont liées.

On note par ailleurs que le poids de l’espagnol a presque doublé en 20 ans. Mais, alors que son extension en Amérique latine est directement liée à l’élévation du niveau de vie et à l’accroissement des effectifs scolarisés au-delà de l’école obligatoire, l’espagnol demeure semi périphérique.  Son niveau de traduction est vingt fois inférieur à celui de l’anglais, trois fois moins important que celui du français et de l’allemand, et, encore une fois,  sans aucune mesure avec l’effectif croissant des populations hispanophones dans le monde (500 millions).  Quant à l’italien, malgré une légère érosion, il demeure une langue souvent traduite, pratiquement à égalité avec l’espagnol alors que, pour l’essentiel, il n’est parlé que dans les limites d’un pays de 60 millions d’habitants. C’est que, comme on l’a déjà relevé, la carte éditoriale ici tracée est loin de dépendre exclusivement du nombre de locuteurs des langues parlées ou écrites à travers le monde : elle ne reflète que les mouvements d’une langue à l’autre, et les relations entre les cultures.

Le tableau suivant permet, quant à lui, de voir le rapport entre acquisitions (ou « intratraductions ») et cessions (« extratraductions ») par langue d’origine face au français

 

Tableau 2. Ratio des acquisitions-cessions 1997-2004, moyenne annuelle par langues (Gisèle Sapiro, Translatio, p. 100)

Langue d’origine

cessions

Acquisitions

Ratio

Anglais

382

836

0,5

Japonais

217

72

3

Suédois

34

11

3,1

Allemand

343

95

3,6

Norvégien

25

6

4,1

Italien

542

128

4,2

Hébreu

38

9

4,2

Arabe

57

7

8,1

Néerlandais

183

18

10,2

Espagnol

625

59

10,6

Hongrois

71

6

11,8

Chinois

298

21

14,2

Tchèque

113

7

16,1

Russe

169

8

21,1

Coréen

387

18

21,5

Turc

152

7

21,7

Polonais

169

7

24,1

Grec

245

10

24,5

Portugais

535

20

26,7

Roumain

207

6

34,5

Bulgare

83

2

41,7

 

Le tableau 2 classe par ordre croissant le rapport entre cessions (du français vers les différentes langues recensées) et acquisitions de ces langues vers le français : il importe évidemment  de garder à l’esprit l’importance du nombre de titres concernés, (2e colonne) et de ne pas se limiter au seul ratio (4e colonne) : une  balance des échanges ne saurait être exclusivement perçue sous l’angle de la couverture, mais doit s’apprécier en volume. Ainsi l’édition en français (sinon la France) acquiert (« importe ») une moyenne de 1 358 titres par an, et en « exporte » 4 875, soit un ratio favorable de 3,2.

Un  tel ratio ne doit toutefois pas faire perdre de vue le déséquilibre fondamental que le français entretient avec l’anglais. Car dans ses relations avec l’anglais (tous pays anglophones ou éditant des textes en anglais confondus, États-Unis, Grande-Bretagne, Australie, etc.), le français importe, en termes de traductions, deux fois de plus d’ouvrages qu’il n’en exporte : le déficit est très net sur ce point. Plus grave, ces quelque 850 « importations » représentent plus de 65 % de l’ensemble des acquisitions réalisées par le français. Ce déséquilibre en souligne un autre, inversé : la langue française, déficitaire à grande échelle face à l’anglais, est en relation d’excédent marqué (voire écrasant dans de nombreux cas) avec la totalité des autres langues.  Ainsi les ouvrages en français traduits en allemand sont-ils plus de 3,5 fois plus nombreux que les ouvrages de langue allemande traduits en français et il s’agit, avec le japonais, d’un des ratios les moins favorables au français

De surcroît, comme on l’a déjà relevé plus haut, il n’y a pas relation directe entre l’importance des populations parlant telle ou telle langue et la capacité d’exportation de ces langues en termes de traduction. C’est bien rappeler à l’esprit que la relation culturelle ne saurait être établie sur des critères simples ou univoques.

La situation a considérablement évolué en ce qui concerne la Chine lors de dernières années alors que l’on ne la pas voit mentionnée dans les tableaux précédents, dont les chiffres sont plus anciens. Ainsi la Chine est-elle devenue en 2013 le premier acheteur  de droits français en matière de livre : 1 524 cessions françaises (89 % pour la jeunesse) contre 706 en 2011 soit un doublement en 2 années seulement[14] et une multiplication par 5 par rapport à la période 1997-2004. Inversement, les cessions chinoises en direction de la France restent modestes : en 2011 elles se montaient à 126.

Tableau 3, Chine : Répartition des achats et cessions par pays d’origine en 2011[15]

              Achats de droits             

Cessions de droits

États-Unis

4 553

Taiwan

1 644

Royaume Uni

2 256

États-Unis

766

Japon

1 982

Corée

446

Taiwan

1 295

Royaume Uni

422

Corée

1 047

Hong Kong

366

Allemagne

       881

Japon

161

France

706

Singapour

131

Hong Kong

       345

Allemagne

127

Singapour    

200

France

126

Canada

133

Russie

55

Russie

40

Canada

15

Macao

19

Macao

1

 

Comme toujours en termes de relations culturelles, il importe de ne pas perdre de vue la relation entre les données quantitatives et les appréciations qualitatives.

C’est ainsi que si on évoque les échanges entre langues et cultures, il importe de voir la part des types d’ouvrages concernés par grands secteurs : littérature, manuels scolaires, littérature de jeunesse, livres pratiques, etc. Ce que fait avec beaucoup de précision Gisèle Sapiro dans Translatio en s’efforçant de prendre en compte non seulement les nombres de titres échangés d’une langue à l’autre, mais la nature de ces échanges en termes de « genres » ou de secteurs éditoriaux. Ce qu’on constate en premier  lieu que seules les langues « centrales » (anglais, allemand, français) sont présentes dans toutes catégories d’ouvrages. Alors que l’espagnol est très bien représenté dans la catégorie « littérature », les traductions à partir de cette langue d’ouvrages de sciences naturelles et de sciences appliquées sont très peu nombreuses. L’allemand est particulièrement bien représenté en philosophie, histoire et sciences sociales. Parallèlement, le français est lui aussi en bonne position dans ces domaines, mais l’emporte sur l’allemand dans celui de la littérature. Et, plus généralement, on relèvera que le français est, poste par poste, la langue qui figure dans la position la plus équilibrée entre acquisitions et cessions examinées par secteurs éditoriaux. Ceci vaut pour la littérature (52 % des acquisitions, 47 % des cessions), mais aussi pour pratiquement l’ensemble des entrées. Que conclure d’un tel équilibre au plan qualitatif ? Qu’une langue centrale se doit d’être également centrale dans le domaine de la culture, de la vie intellectuelle,  des connaissances, et des arts ? – Sans doute, et tel est le cas du français. Mais on doit également tenir compte, comme on l’a déjà dit, de l’impact, évidemment invisible et non mesurable de l’absence de traduction : lorsque l’auteur écrit dans une langue étrangère pour des raisons de communication, de contingences personnelles, de contraintes politiques et sociales ou parce qu’il a décidé de la faire sienne.  Phénomène bien  identifié et largement commenté pour l’anglais dans le domaine scientifique, mais très important également dans la littérature elle-même[16]. Joseph Conrad ou Vladimir Nabokov sont bien des écrivains de langue anglaise, comme Jean Moréas, Tristan Tzara, Samuel Beckett, Milan Kundera, Nancy Houston ou François Cheng sont (aussi) des écrivains de langue française.

Second ordre d’enseignement à la lecture des documents rassemblés par Gisèle Sapiro, la littérature constitue, et de loin, la catégorie la plus importante des livres traduits dans le monde : une traduction sur deux relève de cette entrée. Et la littérature (tous genres confondus) est très harmonieusement répandue selon les « grandes » langues de communication. Plus d’un livre sur deux traduit de l’anglais et de l’espagnol est  classé sous la rubrique « littérature », près d’un livre français sur deux, un livre allemand et italien sur trois également.

À cela s’ajoute le fait  que la  littérature, au-delà même du cosmopolitisme de nombreux écrivains, se présente comme le lieu d’une intense et très complexe mondialisation. En effet, plus que toute autre forme culturelle, la littérature ne cesse de renvoyer à la fois au « local » et au « global », à un ancrage précis et une dmension transterritoriale, voire extraterritoriale. Pour les grands ensembles linguistiques à diffusion mondiale (anglais, espagnol, français, portugais), la communauté de langue ne renvoie donc évidemment pas à un espace national unique, ni même à une culture et à des références homogènes. La littérature d’Afrique de l’Ouest est pour l’essentiel écrite en français et très souvent publiée à Paris, de même qu’une grande partie de la littérature indienne est publiée à Londres (mais New-York et Toronto sont également des hauts-lieux de l’édition en anglais) et de nombreuses œuvres latino-américaines publiées à Barcelone ou Madrid. Et si des traits communs caractérisent les littératures d’Amérique latine, les différenciations nationales ou locales ne manquent pas.

De plus, tout laisse à penser que des auteurs  relevant de « petites » langues (voire de langues sans structures éditoriales ni lectorat véritable) ont intérêt à se passer de la traduction, et à écrire directement dans une langue « centrale ». Comme le relève Pascale Casanova[17], la traduction, ou l’écriture dans une langue reconnue comme littéraire, peut servir de tremplin à une diffusion plus large. C’est ainsi que le français peut, dans le domaine littéraire, être à la fois une langue de traduction permettant un relais vers une diffusion mondiale[18] ou être une langue d’écriture, l’écrivain étranger s’auto traduisant si l’on peut dire, et passant ainsi d’une langue périphérique ou marginale à une langue centrale.

Conclusion

Ce n’est pas un des moindres paradoxes de la mondialisation culturelle, qui n’a de cesse de favoriser les échanges par un  recours toujours accru à la traduction, que de conduire dans le même temps nombre d’écrivains à s’exprimer directement dans la langue de l’autre. Et dans les deux cas, c’est bien de l’inégalité de la situation des langues qu’il s’agit.

Au-delà de l’inégalité des langues et de leurs relations, se pose la question de l’inégalité des échanges entre les cultures, et du sens qu’on peut lui attribuer. Que signifie en effet exporter plus qu’on importe, comme c’est le cas de la langue anglaise, notamment à travers le biais de l’édition américaine et anglaise ? On peut certes y voir le signe d’une hégémonie, voire d’une supériorité. Mais ce peut être aussi celui d’une fermeture, et d’une autarcie pouvant déboucher sur le provincialisme et l’étiolement. Que signifie en définitive importer plus qu’on n’exporte, comme on l’a vu dans le cas de la Chine ?  à l’évidence, une volonté d’être ouvert aux grands courants culturels du monde alors que s’affirme la puissance économique de ce pays. En matière de littérature et de traduction, l’importateur est loin d’être toujours perdant, autant que les positions des uns et des autres sont loin d’être fixes et définies pour l’éternité.

 

[1] Voir  notamment http://www.internetworldstats.com/  et http://www.internetlivestats.com/internet-users/  Cette approche quantitative est évidemment significative, mais limitée. Reste en effet  à mesurer la nature et l’intensité des usages selon les langues ou les pays, que ces chiffres bruts agrégés selon des méthodes non explicitées ne permettent pas d’approcher.

[2] Voir Jean-Marie Le Ray, « Combien pèse le marché de la traduction dans le monde ? », 12 octobre 2013, http://translation20.blogspot.fr/2013/02/combien-pese-vraiment-le-marche-de-la.html

[3] Voir: La Documentation  française, 2004. Voir la Résolution du Parlement européen sur l’élaboration d’une convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques, 14 avril 2005, http://www.europarl.europa.eu

[4][4][4] Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 2 novembre 2001. Article 8 : « Face aux mutations économiques et technologiques actuelles, qui ouvrent de vastes perspectives pour la création et l’innovation, une attention particulière doit être accordée à la diversité de l’offre créatrice, à la juste prise en compte des droits des auteurs et des artistes ainsi qu’à la spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres. » Article 11 : « Les seules forces du marché ne peuvent garantir la préservation et la promotion de la diversité culturelle, gage d’un développement humain durable. Dans cette perspective, il convient de réaffirmer le rôle primordial des politiques publiques, en partenariat avec le secteur privé et la société civile. » http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001271/127160m.pdf

[5] Pour la seule année 2013 en France, les jeux vidéo ont produit un chiffre d’affaires de 66 milliards d’euros alors que l’édition des livres atteignait 2,687 milliards et les recettes de cinéma en salle 1,4 milliards d’€. http://www.challenges.fr/high-tech/20131126.CHA7505/les-10-chiffres-cles-de-l-industrie-du-jeu-video-en-2013.html ; Site Ministère de la culture, mars 2015, www.culturecommunication.gouv.fr/.../file/11-Livre-2015.pdf http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/L-actualite-du-DEPS/Chiffres-cles-2013

[6] Gisèle Sapiro (dir.), Translatio, Le marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation, Paris : CNRS éditions, 2008, 427 p.

Voir également Gisèle Sapiro, « Mondialisation et diversité culturelle », in Gisèle Sapiro (dir), Les contradictions de la globalisation éditoriale, publié avec le concours du VIe programme cadre de l’Union européenne, Paris : Nouveau monde éditions, 2009, p. 275-301.

[7] Pour une vision d’ensemble et actualisée des questions posées par le livre et l’édition, voir Jean-Yves Mollier (dir.), Où va le livre ?, Paris : La Dispute, éd. 2007-2008, 2007, 392 p. Pour un regard plus historique et une approche synthétique, voir Élisabeth Parinet, Une histoire de l’édition à l’époque contemporaine, XIXe XXe siècles, Paris : Le Seuil, 2004, coll. « Points Histoire ».

[8] Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris : Seuil, 1999.

[9] Voir Alain et Louis-Jean Calvet, Baromètre Calvet, le poids des langues, http://www.portalingua.info/fr/poids-des-langues/

[11] Reproduit de Gisèle Sapiro, Translatio, Op. cit., p. 70.

[12] La moyenne des tirages en France en 2013 est de 5 966 exemplaires par livre. Nombre de titres imprimés : environ 66 600, dont plus de la moitié de nouveautés. Pour un regard d’ensemble des chiffres 2013-2014, voir SNE DPES, Ministère de la culture, Service du livre et de la lecture, mars 2015, Économie du livre, le secteur du livre, Chiffres-clés 2013-2014, http://www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/Chiffres-cles_2013-2014.pdf

[13] Voir les statistiques 2000-2007 de l’Index translationum, où on relève entre 8 000 et 9 000 traductions du français par an.

[14] Anne-Laure Walter, « La Chine, toujours premier pays traducteur du français », Livre Hebdo, 27 06 2014, http://www.livreshebdo.fr/article/la-chine-toujours-premier-pays-traducteur-du-francais-en-2013

[15] Source : Chinese Press and Publishing Journal, 29 août 2012.

 

[16] Voir Anne-Rosine Delbart, Les exilés du langage, un siècle d’écrivains venus d’ailleurs (1900-2000), Limoges : Presses universitaires de Limoges, collection « francophonies », 2005.

[17] Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Op. cit.

[18] Ce fut notamment le cas, comme le rappelle Pascale Casanova,  pour la littérature latino-américaine lors de son « boom » des années 1950-1980.

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